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L. Fournier-Finocchiaro

jeudi 26 mars 2009

Philosophes sous surrveillance: à quand l'interdiction de penser?

De : Jean-Louis FOURNEL

Objet : philosopher en France ?

Bonjour,
Ce matin avait lieu l'ouverture en grande pompe d'un colloque très officiel à la Sorbonne sur l'enseignement de la philosophie avec quelques-uns des "grands noms" - ou supposés tels - de la philosophie universitaire française (cf programme ci-joint). Promu par le Ministère de l'Education nationale ce colloque devait être ouvert par Xavier Darcos ou un de ses représentants. Compte tenu des événements en cours - huit semaines de grève universitaire sans que Madame Pécresse et M. Darcos ne daignent écouter la teneur réelle des revendications du mouvement en cours notamment celles concernant la formation et le recrutement des futurs enseignants justement, un certain nombre de collègues et d'étudiants parisiens, dont j'étais, avaient décidé de participer à ce colloque pour prendre à témoin les présents de cette situation. Evidemment ils n'ont pu accéder à la Sorbonne et à son grand amphithéâtre, quelques vigiles et surtout un nombre certain de CRS les confinant sur le trottoir d'en face - conditio sine qua non pour ne pas être embarqués manu militari. Nous sommes restés entre 8h45 et 9h30 devant l'entrée principale de la Sorbonne à crier un certain nombre de slogans. Je vous laisse juge de leur pertinence ("Darcos nuit gravement au logos" ; "Si vous philosophiez, vous ne sauriez entrer" ; "Honte à vous, Montaigne est avec nous" ; "Concepts sous protection, c'est de la trahison" etc.).

La chose la plus étonnante, et, me permettrai-je de dire, la plus préoccupante, est que pas un, je dis bien pas un, des collègues invités (que ce soit pour y parler ou pour écouter) à ce "grand" colloque que l'on supposera "prestigieux" n'a pensé qu'il pouvait renoncer à y participer dans ces conditions, entrant sous la protection de la police et alors que quelques dizaines de personnes désireuses d'assister à l'événement n'y avaient pas accès. En fait, j'exagère, une seule personne, sans doute touchée par un excès de scrupule a traversé la rue, nous a rejoints et nous a demandé si pénétrer dans les lieux relevait vraiment d'une "trahison" : comme nous sommes plutôt de bons bougres et que nous étions touchés par cette demande nous avons répondu que non et qu'elle pouvait y aller si elle le jugeait bon... La dame en question traversa donc la rue derechef mais, las, elle avait eu le tort de venir parler avec celles et ceux qui étaient écartés des lieux de la pensée officielle et, du même coup, elle en avait été contaminée et fut privée de son droit d'entrée, malgré son invitation en bonne et due forme. La même mésaventure fut subie par un jeune collègue philosophe enseignant dans un lycée, dont on comprendra qu'il préfère garder l'anonymat, et qui ne put entrer malgré ce qui lui avait été promis par son inspecteur (cf son récit ci-joint).
Pour parler de l'enseignement de la philosophie, voire pour écouter ce qui s'en dit en haut lieu, il vaut donc mieux désormais ne pas choquer le ministère de tutelle et ce qu'il faut bien appeler désormais ses sbires. L'époque est triste. Faites-le savoir et diffusez ce message largement si vous êtes aussi choqué par la chose que celles et ceux qui étaient présents ce matin le furent. Merci.
amitiés
Jean-Louis Fournel
(Université Paris 8 et SLU - Sauvons l'université !)

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Aux professeurs de philosophie,

9h15 minutes. Je me présente devant l’entrée du grand amphithéâtre de la Sorbonne muni d’une carte professionnelle sur laquelle le vigile de service pourra lire sans mal « professeur de philosophie ». Conformément au contenu explicite d’un courriel de l’inspection académique, et après avoir déplacé les six heures de cours de la journée, je viens assister au colloque « Enseigner la philosophie, faire de la philosophie ». Il était spécifié dans ce courriel que tout professeur pouvait se présenter spontanément au colloque. La directive venait « d’en haut ». Il se trouve qu’à 9h16 minutes, et après présentation de la carte professionnelle, je me suis vu interdire l’accès à l’amphithéâtre. J’explique au représentant de l’inspection générale que je ne suis pas de Paris, le déplacement administratif des heures de cours, le trajet. La phrase est laconique : vous n’êtes pas sur la liste.

A 9h20 minutes, je croise l’inspecteur de l’académie dans laquelle j’enseigne. Il cherche à intercéder en ma faveur mais en vain. Il faut être sur la liste. En face de l’entrée, un petit comité s’est formé, composé pour une large part d’enseignants à l’université (entre autres Paris I, Paris IV en sciences humaines). Il va de soi que les individus de ce petit groupe qui ont tenté de participer à ce colloque furent refoulés de la même façon. Une dizaine de CRS assure le bon déroulement de l’enregistrement des inscrits sur présentation de l’ordre de mission. Outillé d’un porte-voix, un manifestant lance « la philosophie est dans la rue ».

A 13h, dans un bar du quartier, j’entame la discussion avec deux professeurs de philosophie présentes le matin au colloque. A part quelques remarques ponctuelles sur les interventions, aucun problème ne fut levé. Extrême docilité du corps professoral en philosophie. En guise de préambule, l’inspecteur général, aux dires de ces professeurs, avait accumulé les remarques lénitives sur la bonne santé de l’enseignement de la philosophie. Alors que je les questionne sur le déroulement de la matinée, elles insistent lourdement sur la légèreté des interventions (trente minutes pour chaque intervenant) et remettent en question ce que l’une d’entre elles qualifie de « spectacle ».

Il va de soi que l’on pouvait sans mal anticiper la vacuité politique d’une telle entreprise, brosse à reluire du grand corps « philosophique » français. Alors que l’université française est au plus mal, alors que des professeurs du secondaire, dans la réalité de leurs pratiques, souffrent (dans l’attente inéluctable d’une réforme qui réduira l’enseignement de la philosophie dans l’institution à néant), le « spectacle » suit son cours.

Je dois avouer que la vue de ces professeurs dociles en ordre de mission payée encadrés par un cordon de CRS mais satisfaits de participer à la grande leçon m’a fait regretter d’avoir choisi, il y a des années, l’enseignement de la philosophie. Alors qu’il s’agirait, selon le bulletin officiel, d’éveiller la conscience critique de l’élève « citoyen », les maîtres se plient à un pouvoir qui leur assure la gamelle. Alors que les questions de la philosophie et celle de la politique sont à jamais liées, à l’heure de la grand messe, les professeurs de philosophie devront se contenter de machouiller l’hostie en silence mais avec la bonne feuille dans le cartable.

Pourquoi pas un colloque ? A défaut du reste, pourquoi pas. Seront attendus (comme autant de pré-requis) la docilité du grand corps des fonctionnaires, une dose non négligeable de naïveté et d’inconséquence, une tempérance humaniste dopée à la flatterie, la peur de perdre le peu qu’il reste, une bonne volonté et une volonté bonne, un amour du problème qui ne dérange personne, le sentiment excellent d’être encore une élite, la conscience suraiguë de la mission d’en haut, des démissions d’en bas, de l’indifférence du milieu, la foi dans l’universel à diluer, les souvenirs d’étude, la réminiscence de l’odeur des boiseries, le crissement de la craie, toutes ces madeleines de prof - puisqu’il est désormais convenu d’amputer le signifiant.

Le jour où l’enseignement de la philosophie aura définitivement disparu, il sera trop tard pour pleurer. A moins, et c’est une hypothèse que je n’exclue pas, que le renoncement à la philosophie comme puissance politique de dérangement soit tel que personne, plus personne, ne vienne pleurer sa disparition. Le sourire aux lèvres, il ne restera plus aux professeurs qu’à enseigner en boucle la tranquillité de l’âme après la mort du corps politique.

Pour cet enseignement, n’ayez crainte, il y aura toujours des postes.

Un professeur agrégé de philosophie

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